jeudi 3 décembre 2009

Chronique d'un insomniaque 1

Ah insomnie, quand tu nous tiens. J'estime que dans les 10 dernières années, je dois avoir vu au moins 2500 concerts, tous styles, grandeurs de salles et intensités de volume confondus.

Pendant ces 10 ans, j'ai travaillé comme disquaire, recherchiste et programmateur musical à Bande à part. Ces trois boulot ont un horaire de jour qui ne complémentent pas bien le style de vie nocturne associé aux concerts susmentionnés. Depuis l'âge de dix ans, je souffre d'insomnie et mon style de vie ne fait rien pour y remédier.

J'entame donc, à 2h du matin, la lecture de Mainlines, Blood Feasts, And Bad Tastes, A Lester Bangs Reader, recueil de texte de Lester Bangs édité par John Morthland, ami et biographe de celui qui est maintenant reconnu comme le plus grand «rock writer» de l'histoire. Une profession qui a maintenant environ 40 ans et une certaine reconnaissance.



Bangs est reconnu comme un être nocturne, qui écrivait presque toujours, mais qui aimait particulièrement rester éveillé la nuit pour écrire, écrire n'importe quoi à propos de la musique, de ses états d'âmes, mais surtout écrire pour écrire. Mort en 1982 à l'âge de 33 ans d'une overdose, Bangs était reconnu surtout par ses pairs et craint des musiciens, mais ça s'arrêtait pas mal là. Il a tout de même réussi à faire reconnaître le travail des journalistes rock, tout en demeurant un critique imperturbable.

En 1980, dans son livre Loose Talk, Linda Botts rapporte ces paroles de Frank Zappa : «Rock journalism is people who can't write interviewing people who can't talk for people who can't read.» En traduction libre: le journalisme rock, c'est des gens qui ne savent pas écrire qui interview des gens qui ne savent pas parler pour des gens qui ne savent pas lire.

Frank Zappa est reconnu comme un des plus grands musiciens, tout genre confondu, du XXe siècle. Son oeuvre officielle enregistrée est à peu près inégalable, sans compter les «bootlegs», officiels ou non. Tout comme pour Bangs, il a ses détracteurs, mais somme toute, beaucoup plus d'admirateurs et son influence sur à peu près toute la musique d'aujourd'hui, directe ou non, est incommensurable.

Beaucoup de journalistes et d'auteurs se réclament aujourd'hui de Bangs, même si son influence ne se fait pas toujours sentir dans leurs oeuvres. J'admire Lester, mais je ne me réclame pas de lui. Je ne suis pas un admirateur de Zappa, mais je suis quand même d'accord avec son point de vue.

Par contre, lorsqu'on m'assigne un disque à critiquer, je prends la chose au sérieux, même si je trouve ça un peu ludique. J'aime lire les critiques dans les journaux, sur les blogues et les magazines. Si un critique détruit une oeuvre que j'aime, je ne me sens pas attaqué personnellement dans mes gouts. Si quelqu'un commente que je n'ai pas bien compris un disque auquel je donne une mauvaise (ou une bonne) note, c'est la même chose. Ce que je recherche, c'est la culture et non l'approbation.

Si je lis une critique du dernier A Place To Bury Stangers, je veux savoir si ces jeunes musiciens ont bien assimilé l'héritage de Jesus and Mary Chain ou s'ils sont tous simplement une copie de cliché d'émules de My Bloody Valentine. Que le critique aime ou non, c'est pas vraiment important. Ce que je veux, c'est découvrir d'où vient et où ira un artiste.

Même si je n'étais que très rarement d'accord avec lui, je dévorais les chroniques et les critiques de Robert Lévesque dans le Devoir et le Ici. Cet homme m'a fait découvrir plein d'auteurs et de metteurs en scène en plus d'être lui même quelqu'un qui écrivait bien. Lévesque est un homme de culture et qui ne se gêne pas pour en faire un étalage, pompeux certes, mais qui est plus important que l'acte de critiquer lui même, ou du moins, qui lui donne tout son sens.

Le rôle de critique est avant tout celui de prescripteur. L'oeuvre culturelle est en soi une anomalie. Prenons exemple sur le journalisme sportif. Au hockey, chaque joueur a une tonne de statistiques sur lui pour chaque match. On compte son temps de glace, les points pour, les points contre, le nombre de tirs bloqués, etc, et une fois le tout compilé, on peut aisément affirmer qu'Hal Gill a connu un mauvais match ou que Plekanec est en feu.

Ces journalistes ont des outils concret pour analyser les performances et peut faire abstraction de ses goûts personnels pour critiquer la soirée de travail du joueur. On peut ensuite douter de leurs talents d'orateurs à la télévision, mais leurs jugements sont assez respectés et s'appuient sur des faits concrets.

On ne peut cependant juger un album au nombre de note par minutes, un livre au nombre de points ou un film à son temps de jeu. On peut le mettre en contexte dans l'histoire de l'art et c'est à peu près tout. L'appréciation d'une oeuvre c'est personnel; un critique n'a rien à vous apprendre sur vos goût et vous n'avez rien à lui apprendre sur les siens. Je vous dirais cependant de lire une critique pour vrai, pas juste regarder la note et vous faire une idée du texte car vous pourriez peut-être y découvrir quelque chose.

Si vous vous êtes rendus jusqu'ici, je vous félicite car j'espérais ne pas m'y rendre moi-même et d'être déjà dans les bras de Morphée. Mon ordi a planté et j'ai dû tout ré-écrire depuis le 4e paragraphe une deuxième fois, il est maintenant 4h du matin et je vais travailler bientôt, j'ai cependant une dernière petite chose à vous demander. Quel est votre album préféré de tous les temps? C'est lui le meilleur c'est tout, peut-être pas pour moi, mais tout album a le potentiel d'être le meilleur si quelqu'un est là pour le penser et ça s'arrête là.